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Gerrymandering

12 Nov

2016

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Écrit Par  Yann Bidon
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Gerrymandering

On continue notre série sur les travers de notre système électoral. Après le système de vote, il est temps de nous attaquer au découpage électoral. Cette problématique se pose lorsqu'on doit élire non pas un conseil dans sa globalité mais qu'on vote que pour une constituante, une partie de celui-ci.

De quoi je parle? Vous voyez les élections municipales en dehors des 3 plus grandes villes de France qui ont un traitement spécial (Paris, Lyon Marseille)? Vous votez ici par un vote majoritaire pour l'entièreté du conseil. Le vainqueur remporte plus de la moitié des sièges et le reste est partagé proportionnellement. Bien qu'on peut critiquer le scrutin majoritaire, on note qu'ici, nous maitrisons totalement la composition du conseil, de façon à représenter la volonté des habitants de la ville. Normalement, la liste qui a remporté les suffrages représente bel et bien la majorité de la population ayant votée (le vote blanc n'étant pas décompté). Rien d'anormal. Cela vous semble même logique. Cela serait étrange que le parti vainqueur ne soit pas celui qui soit le plus représenté.

Pourtant, c'est ce qui peut arriver lorsqu'on vote par circonscription, par zone si vous voulez. C'est le cas par exemple pour les élections législatives où différentes circonscriptions élisent leurs députés. C'est aussi le cas pour les sénatoriales où on vote une liste par département. Il y a enfin les cantonales qu'on a appelé départementales où chaque canton vote pour un représentant au conseil général qui s'appelle maintenant conseil départemental (et mais c'est que ça bouge quand même). Bon, et du coup, où est le problème, me direz-vous? Chacun des territoires choisit un représentant pour siéger à un conseil d'un niveau plus grand. Qu'est-ce qu'il y a de mal? Les limites de ces territoires ne sont pas marquées dans le marbre. En fonction de la démographie, de l'évolution du territoire et de sa population ou encore par simple volonté politique, les limites bougent et se redéfinissent. Et on n'en parle jamais mais ce n'est pas si rare que ça. Les lignes pour les législatives ont bougé en 2009, les cantons ont été réduits par deux en 2013 (ce qui a valu qu'on repousse les élections départementales et régionales en 2015). Or celui qui redessine les lignes maitrisent totalement le scrutin.

Je m'explique. Imaginez un pays super simple avec 100 villes que je vais représenter ici par un carré de 10x10. Globalement, par le jeu des statistiques, des sondages, des résultats précédent, on sait déjà globalement pour qui la ville va voter. Toujours pour simplifier, on ne va prendre que 2 partis, les rouges et les bleus. Disons qu'il y a 40 villes pour les bleus et 60 pour les rouges. On vient de nous donner comme mission de découper le territoire en 10 circonscriptions. Dans l'idéal, je peux faire en sorte que la proportion (60% de bleu et 40% de rouge) soit respectée au sein du conseil. Il me suffit de découper le territoire comme suit:

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Mais voilà, moi je suis pro-rouge ou bien les rouges m'ont tout simplement acheté. En jouant avec les lignes, je suis capable de faire en sorte que la totalité du conseil soit rouge. Si, si. C'est juste un petit jeu géométrique.

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Sachez que les bleus peuvent également m'acheter et bien que je ne peux leur donner la totalité (car ils n'ont pas la majorité des villes), je peux quand même leur donner la majorité au conseil auquel ils candidatent. Il suffit que je coupe comme sui et ils auront 60% :

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C'est ça le gerrymandering. C'est le fait de découper le territoire dans le but de favoriser un parti. C'est un mot qui nous vient des États Unis, en 1981 pour dénoncer les dérives du découpage électoral. Le Gerrymandering est un vrai problème et n'affecte pas juste mon petit schéma ci-dessus. On a notamment eu le cas récemment avec l'élection présidentielle américaine où malgré que la population ait voté majoritairement pour Hillary, par le jeu des swing-states et donc du découpage électoral, c'est Trump qui a reçu le plus de grands électeurs et sera normalement sacré président. Ce fut également le cas pour les élections présidentielles américaines de 1876, 1888 et 2000, où les démocrates, bien que majoritaires dans l'électorat, furent battus à cause du découpage des États.

Le problème du vote par zone est l'effet de seuil. En réalité, pour gagner, seul suffit 50.01%. Le reste des votes n'est que surplus et est donc perdu alors qu'ils auraient pu aider une autre zone pour faire basculer le parti. Car que vous gagnez avec 50.01% ou 100%, cela importe peu. Vous avez remporté votre zone mais ça ne change rien au niveau de la composition du conseil. De même, lorsqu'on perd, l'ensemble de nos votes pour le perdant sont eux-mêmes perdus. C'est d'autant plus rageant si le vainqueur n'a que 51%. Youhou, 49% de la zone n'est pas représenté. Alors que ces voix auraient elles aussi permis peut-être de récupérer une autre zone (et donc un siège).

Mais critiquez, c'est mignon. Proposez des solutions, c'est meilleur. Quelles sont les alternatives? La plus naturelle est évidemment de donner le découpage des lignes électorales à un organisme indépendant. Mais peut-on réellement être indépendant? Je préfère une autre solution, plus pragmatique. Vous avez peur que cet organisme se fasse acheter par un des partis pour le favoriser? Payez le pour qu'ils fassent en sorte de faire un découpage correspondant au mieux aux proportions nationales. Si je reprends mon exemple de 100 villes. Je vais demander à l'organisme de me faire un découpage pour que la composition du conseil colle au mieux du 60% rouge et 40% bleu et je ne paierai que si c'est le cas. En quelque sorte, on fait du gerrymandering mais là, ce n'est pas les partis mais l'État qui paie pour que le conseil soit représentatif de sa population. C'est quand même mieux et c'est cool car ça ne serait plus aux politiques de le faire. Seulement ça coute des sous...mais ça garantie une bonne représentativité.

On peut aussi supprimer les zones et faire un vote à la proportionnelle. On voterait alors pour une liste comme pour les municipales et ça serait une élection nationale. Cependant, dans ces cas là, on ne sera pas sûr que notre territoire soit représenté. Cela peut moralement poser problème et vous en êtes seul juge. Mais bon, si on nous sort une liste avec essentiellement des Parigos, avec tout le respect que j'ai pour eux, avouons que l'assemblée ne sera guère représentative de la diversité du territoire. On impose une personne de chaque territoire dans la liste? S'il gagne 60%, comment décide-t-on de ceux qui vont siéger? De quel droit, via des arrangements internes, va-t-on écarter tel territoire plutôt qu'un autre?

On peut aussi découper le territoire non pas par un choix humain mais par les mathématiques. Il existe de nombreux algorithmes pour découper une zone de N éléments en M circonscriptions. Je pense, par exemple, au Shortest Split Line Method que j'aborderai surement un jour dans ma rubrique mathématique. Pour le moment, je ne vais pas rentrer dans les détails mais je peux vous assurer qu'il existe des méthodes "neutres" pour découper une zone en x sous-zones / circonscriptions. Alors bien sûr, cela peut totalement aboutir à une situation, un découpage qui va favoriser un parti plutôt qu'un autre, mais ça sera purement fortuit, ça ne sera pas voulu par l'Homme, il n'y aura pas eu de malversation de l'Homme, c'est une machine qui a découpé, tout simplement.

La fausse bonne idée serait de proposer de découper les zones et de les soumettre à l'approbation des partis. Alors déjà, je ne vous raconte pas le bordel pour mettre tout le monde d'accord. Et surtout, il faut bien voir que les partis n'ont pas les mêmes intérêts que les électeurs. Les électeurs veulent des élections serrées où le candidat doit se battre et donc convaincre pour arriver premier. Cela permet ainsi de donner du poids au peuple. À l'inverse, les candidats, eux, veulent surtout un vivier facile pour avoir leur place assurée et donc conserver leurs privilèges. Et c'est ainsi qu'on se retrouve avec toujours les mêmes, indéboulonnables, tout simplement car ils se seront répartis en terrain conquis. Pour illustrer, imaginez-vous juste 4 zones, 2 bleus et 2 rouges, que vous devez couper en deux. Pour les électeurs, le meilleur serait de faire un découpage en deux zones "1 bleu et 1 rouge". Comme ça, chacun va devoir convaincre, se battre, céder sur des points pour faire plaisir aux électeurs.... Les partis, eux, veulent s'assurer d'être présent, d'avoir le siège. Ils ne veulent pas d'une guerre incertaine. Ainsi ils vont préférer une zone "2 bleus" et une autre "2 rouges" où chacun gagne un siège assurément. Mais derrière, il n'y a aucun challenge, aucun risque et donc si on a aucun risque, pourquoi le candidat se plierait aux réclamations de quelques uns?

Le Gerrymandering est un sérieux problème qui peut totalement défaire le résultat d'une élection. Ainsi, il nous appartient d'être vigilant lorsque les lignes bougent. Mais sincèrement, aujourd'hui, qui s'en soucie? Personne. Le saviez-vous que les circonscriptions avaient bouger en 2009? Saviez-vous que les cantons aussi en 2013? Cela fait beaucoup moins de bruit que la réduction par deux de nos régions et pourtant d'un point de vue électoral, c'est beaucoup beaucoup plus important. Des solutions, il y en a, en gardant les zones, en les enlevant, en virant le politique du processus, en payant pour assurer une équité. Maintenant, encore faut-il des voix pour réclamer le changement. Un certain président avait annoncé que le changement, c'était maintenant mais sur le fond, in fine, pas grand chose a changé et personne ne s'ose à aborder le sujet. On préfère se cristalliser sur "faut-il faire voter les étrangers" plutôt que sur "comment rendre notre système électoral plus juste"...

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